Aujourd’hui, on fête l’anniversaire de Sam Kamaka, né le 29 décembre 1890, mais aussi celui de Billy Kanui, né le même jour de la même année, à Honolulu.
Premier Hawaiien à répandre en France l’ukulélé et la steel guitar, Kanui fut aussi le premier à incarner sur scène, dans son célèbre duo Kanui & Lula, le cliché exotique du noir sauvage kannibal rythmant la danse ondulante de la belle vahiné au teint clair.


Né à Honolulu le 29 décembre 1890, William Kulii Kanui part pour San Francisco en 1909, puis s’établit à Philadelphie. Mi-novembre 1913, il embarque à New York avec la troupe de neuf musiciens, chanteurs, danseurs originaires d’Hawaii que le Luna Park de Paris a engagée en attraction. Billy Kanui joue ainsi l’ukulélé et la guitare hawaiienne à la porte Maillot entre fin novembre 1913 et avril 1914. Son contrat honoré, il décide de rester en Europe et rejoint Londres accompagné du guitariste de la troupe, Joseph Puni, et d’une jeune parisienne, Lucie Schmidt, qui s’affuble alors de la jupette de paille des hula girls et du prénom Leilani.

D’abord Hawaiian Serenaders, puis The Hawaiians and Miss Leilani, le trio éveille la curiosité du public dans les théâtres d’Angleterre où il joue durant toute la Grande Guerre. Après une représentation au Garrick Theatre en 1917, la presse donne quelques précisions sur l’intérêt du spectacle annoncé unique au monde : « le duo d’indigènes hawaiiens mâles s’accompagnant de guitares apporte un authentique parfum des mers du Sud, surtout lorsqu’il entonne son chant de guerre, particulièrement impressionnant » ; quant à leur partenaire féminine, Mdlle Leilani, « sa danse mimée se révèle très suggestive dans la pénombre entrenue sur scène pendant ses évolutions ».

Voilà ce qu’en début d’année 1920 découvrent à leur tour les spectateurs de Paris, où Billy Kanui et Lucie Schmidt sont revenus s’installer. Ils se présentent maintenant sous le nom de Kanui & Lula et enflamment la scène de l’Olympia chaque soir de février à octobre 1920. Dans un décor en trompe-l’œil de palmiers et hutte de branchages, la belle Lula à peau claire caresse son ukulélé et ondule, lascive. Le sauvage Kanui lui aussi gratte l’ukulélé, fait gémir la guitare ; il saute, trépigne, éructe. Le public exulte.
Kanui & Lula donnent enfin corps et voix au couple imaginaire kannibal et vahiné qui hante les esprits depuis que l’Europe sait la lointaine Océanie abriter tout à la fois le paradis voluptueux du récit de Bougainville et l’enfer anthropophage où disparut La Pérouse.
Dès l’automne 1920, la parodie qu’en donne Mistinguett dans un duo humoristique avec Boucot sous le titre Le gri-gri d’amour, légende hawaïenne, devient le clou de la revue Paris qui jazz… au Casino de Paris.


Rapidement, le duo Kanui & Lula s’est étoffé du guitariste Joseph K. Nahale arrivé d’Honolulu en juin. Le trio joue dans toute la France, revient à l’Olympia en février 1921 avant de partir à la conquête de l’Europe et au-delà. Dix-huit titres gravés en mars 1922 à Berlin pour Star, puis les galas se multiplient en Allemagne, Autriche, Belgique, Suisse, Hollande, Angleterre, Irlande, Espagne, Tchécoslovaquie, Turquie, Syrie … De théâtres en casinos, les tournées succèderont aux tournées pendant plus de quinze années !

Toutefois, le groupe conserve sa résidence principale à Paris, où le succès ne faiblira jamais. En 1926, puis en 1928, l’Olympia présente de nouveau Kanui & Lula. En 1931, année faste pour les exotismes, Billy Kanui et son vieil ami Joe Puni, lui aussi redevenu Parisien depuis 1923, accompagnent les chanteuses et danseuses tahitiennes Tukua, Tauhere et Teuira lors de conférences et soirées qu’anime Robert Chauvelot dans le cadre de l’Exposition Coloniale ; au même temps, Kanui & Lula apparaissent au programme de l’Empire. En mai 1933, Kanui & Lula ouvrent pour Fernandel à Bobino.

Le 21 juin 1933, Billy Kanui enregistre quatre titres chez Odéon. Les deux disques paraissent sous le nom de Kanui & Lula bien que Kanui soit seul au chant et à la guitare hawaiienne. Oua Oua, sa version du Hawaiian War Chant, (Taua I Ta Huahua`i), devient un énorme succès à la radio, le disque de musique hawaiienne alors le plus vendu en France, pressé à destination de l’Angleterre, la Hollande, la Suède, l’Argentine, l’Australie, l’Inde, le Japon, objet d’innombrables copies, pastiches, rééditions, remixes, et ceci jusqu’aujourd’hui encore.
En octobre 1934, Odéon organise une autre séance de studio et grave quatre nouvelles chansons avec un orchestre élargi, à l’interprétation plus moderne. Kanui & Lula tournent en Hollande cette même année. La suivante, Kanui et Puni accompagnent les danseuses tahitiennes Tauhere et Maeva lors d’une conférence du commandant Paul Chack à Paris. En mars 1937, Kanui & Lula participent à un Gala Galibaldien au Lido avec Josephine Baker. En octobre, le Trio Kanui figure encore à la distribution de Pacifique de H. R. Lenormand, une comédie musicale constituée de Scènes de la vie polynésienne en 12 tableaux jouée au théâtre des Ambassadeurs.

Mais à partir de 1938, Kanui et Lula disparaissent des affiches.
Joseph Puni rentre en 1939 à Honolulu et finit ses jours à la Lunaliho Home.
Billy Kanui choisit de rester à Paris. Il s’éteint le 6 septembre 1960 à l’Hospice de Bicêtre, au Kremlin-Bicêtre. Lula accompagne son convoi au cimetière parisien de Thiais où il repose désormais*.

© 2010. Cyril LeFebvre

  • Mise à jour au 1er janvier 2011 avec la découverte par Les Cook du certificat de décès établi pour le Consulat américain de Paris.

(merci à Les Cook de Grass Skirt Records pour les nombreuses lumières qu’il a apportées à la biographie de Billy Kanui. Merci également à Malcolm Rockwell pour son formidable travail discographique)

Tauhere et Teuira à l’Exposition Coloniale 1931 (Photo coll. Ph. Gemgembre)

Une pensée sur “Billy Kanui (1890 – 1960)”

  1. merci merci…
    tous vos renseignements sont fantastiques et font renaître ces artistes oubliés et dont la musique fait encore notre bonheur aujourd hui
    bravo je suis collectionneur de vieilles cires et mon petit fils se régale de ces moments de vraie joie phonographique…

    alain ETIENNE

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