MARY CRUMP
BOBBY EDWARDS
ET DADA

Les archives photographiques du Museum of the City of New York recèlent bien des trésors, telles ces deux plaques de verre de la fin des années 1910 sur lesquelles on découvre Mary Crump et Bobby Edwards, hautes figures, de l’ukulélé pour l’une, du cigar-box Ukalyptos pour l’autre, et tous deux des « bohemians » à l’époque où Greenwich Village nourrissait les avant-gardes artistiques, celle d’Amérique, mais aussi celles d’Europe que la Grande Guerre avait exilées de l’autre côté de l’Atlantique.

New York 1917
Marcel Duchamp dîne au Breevort, chez Romany Marie, avec Francis et Gabrielle Picabia, Arthur Frost, Henri Pierre Roché et Beatrice Wood, qui danse avec Arthur Cravan. Tous partent ensuite assister au bal costumé « newfashioned hop, skip and jump » qu’organise le magazine Blind Man au Ultra Bohemian, Prehistoric and Post Alcoholic Webster Hall où Duchamp joue les acrobates en haut du mât porte-drapeau. La virée avait débuté l’après-midi à la Crumperie où ils étaient venus déguster des crumpettes et applaudir Crumpey, ainsi que Bobby Edwards, The Troubadour of Greenwich Village, tous deux accompagnant leurs chansons à l’ukulélé.

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Mary Alletta « Crumpey » Crump (1887 – 1970) tint entre 1916 et 1927, à six adresses différentes de Greenwich Village, un salon de thé à l’enseigne Crumperie, fort couru des artistes, écrivains et autres bohemians. Fréquentaient là Enrico Caruso, Eugene O’Neill, Sinclair Lewis, Theodore Dreiser, Edna St. Vincent Millay, Christopher Morley, Tony Sarg, et la section française Dada. Dans un fouillis pittoresque de salon victorien, Crumpy servait les « crumpettes » que préparait en cuisine sa maman, « Bee », et chantait folk songs et negro spirituals en s’accompagnant à l’ukulélé. Elle apparut également dans deux Cherry Lane Revues.
En 1918, les troupes du front eurent l’occasion de profiter à leur tour de ses talents d’ukuléliste quand Mary Crump vint chanter en France sous l’uniforme du American Women’s Voluntary Service.
Outre les deux portraits à l’ukulélé, le Museum of the City of New York possède des clichés des différentes Crumperies. Courte biographie et autre photo dans les Five College Archives and Manuscript Collections.

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Robert « Bobby » Edwards, le Troubadour de Greenwich Village, était poète, portraitiste, caricaturiste, acteur, éditeur-rédacteur de The Quill, chanteur, compositeur, ukuléliste, fabriquant du fabuleux Ukalyptos, « petit-cousin de l’ukulélé », et bohemian à temps complet.
On lui doit The Greenwich Village Epic dont Doug Skinner a compilé les différentes versions publiées – auxquelles on ajoutera celle du regretté Tuli Kupferberg, co-fondateur des Fugs, imitant la partie ukulélé avec la bouche – et bien d’autres chansons restées dans la légende, comme Why be an Industrial Slave When You Can be Crazy ? qu’il créa en juillet 1919 dans les premières Follies of Greenwich Village, revue à succès du Greenwich Village Theatre, dont les portes avaient ouvert en octobre 1917 entre Christopher St. et West Fourth St.

Bobby Edwards fabriquait aussi d’incroyables ukulélés cigar-box appelés Ukalyptos qu’il vendait lui-même. On n’en connaît aucun exemplaire original et les photos et croquis d’époque sont en noir et blanc.
Mais selon le poète-clochard Maxwell Bodenheim, les Ukalyptos étaient décorés de dessins aux couleurs criardes (« gaudy ») : « vermillon, mauve, ocre, rose et orange avec une tête en forme de totem ». Toujours selon le même Bodenheim, Romany Marie (Marie Marchand, tenancière du Breevort) accusait Bobby d’acheter les ukulélés chez un fabricant à Hoboken et de se contenter de les décorer. Il est vrai aussi que tous deux se querellaient sans cesse, et en retour, Bobby dénonçait dans The Quill le personnage de voyante tzigane que Romany Marie s’était inventé et jouait devant sa clientèle en arborant châles chamarrés et grands anneaux d’oreille récupérés chez un costumier de théâtre (elle arrivait bien de Roumanie mais n’était effectivement pas du tout Tzigane)*.

Doug Skinner vient de publier de nombreuses photos, dessins et éléments biographiques sur Bobby Edwards dans son blog Ullage Group.

  • Mise à jour du 10/01/2011 pour répondre à une question de uncle sur les couleurs des Ukalyptos

12 pensées sur “Mary Crump – Bobby Edwards – Village Ukulele – 1917”

  1. Extraordinaire billet ! Comment fais-tu pour dégotter de telles informations ?

  2. C’est vrai, c’est formidable, merci cher Cyril Lefèbvre, tu nous fais aimer encore plus l’ukulele

  3. C’est vrai, c’est formidable, merci cher Cyril Lefèbvre, tu nous fais aimer encore plus l’ukulele

  4. C’est vrai, c’est formidable, merci cher Cyril Lefèbvre, tu nous fais aimer encore plus l’ukulele

  5. Stupefiant : le ukulele qui se connecte au Dada par le biais de ces 2 personnalités iconoclastes et sympathiques , on rêve de voir les couleurs de ces cigarboxTotems…

    encore merci Cyril!

  6. J’ai fait une mise à jour pour ajouter les couleurs des Ukalyptos et quelques précisions pêchées chez Bondenheim. Sinon, Doug Skinner a publié sur son blog les croquis du "Song Book" de 1917.

  7. Maxwell Bodenheim bien sûr (pas Bondenheim comme le clavier m’a fait écrire par accident)

  8. Maxwell Bodenheim bien sûr (pas Bondenheim comme le clavier m’a fait écrire par accident)

  9. Merci Cyril !
    Passionnant billet en effet ! En lisant ce sujet, on a l’impression de revivre un instant de leurs vies ! Bravo

  10. Je suis content d’apprendre que le bon Bobby a trouvé un public francophone! Et pour les curieux: j’ai publié 14 chapitres de mes trouvailles — même un portrait trouvé aux puces…

  11. Je suis content d’apprendre que le bon Bobby a trouvé un public francophone! Et pour les curieux: j’ai publié 14 chapitres de mes trouvailles — même un portrait trouvé aux puces…

  12. Je suis content d’apprendre que le bon Bobby a trouvé un public francophone! Et pour les curieux: j’ai publié 14 chapitres de mes trouvailles — même un portrait trouvé aux puces…

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