En ce 20 mai, célébrons l’anniversaire de
Mario Maccaferri, guitariste virtuose, luthier novateur, prolifique inventeur d’un tas de trucs épatants – de la pince à linge Mastro au Reed-O-Meter à anches – et en ce qui nous concerne particulièrement, du merveilleux Islander, l’ukulélé en matière plastique qui, en 1950, fit entrer l’instrument dans le Spage Age à travers la petite lucarne de la télévision et porta la deuxième vague jusqu’à des hauteurs sidérales.

Le 20 mai 1952, autre anniversaire du jour, l’islander recevait la validation de son brevet quand sa production quotidienne à la fabrique newyorkaise atteignait les 2000 exemplaires.

Biographie inédite de Mario, ce héros, sous la plume fringante d’Antoine Carolus, notable expert en ces matières… plastiques.

Quand la source française de canne nécessaire à la fabrication d’anches de clarinettes lui fut devenue inaccessible pour cause de guerre, Mario Maccaferri se tourna vers le plastique. Ce fut probablement là le plus grand tournant dans la vie du luthier originaire d’Emilie-Romagne, émigré à New-York.


Né le 20 mai 1900 à Cento, Mario Maccaferri entre comme apprenti dès l’âge de 11 ans dans l’atelier du célèbre luthier Luigi Mozzani et suit des études musicales à l’Académie de Sienne.
En 1923, il ouvre son propre atelier de lutherie, guitares, mandolines, violons, à Cento et commence une carrière internationale de guitariste de concert. On le dit brillant à l’égal de son ami Andrès Segovia. Les tournées lui feront visiter toute l’Europe.


Il s’installe en 1927 à Paris, puis en 1929 à Londres où il rencontre Ben Davis, le patron de Selmer, qui le charge de créer un atelier de fabrication de guitares à Mantes-la-Ville. C’est là que Maccaferri concevra les novatrices « guitares manouches » à grande bouche, munies d’un résonateur interne, que Django Reinhardt popularisa, et un modèle hawaiien à sept cordes mis au point avec Gino Bordin.
En 1933, un accident met un terme définitif à sa carrière de concertiste. Mais l’appel du large le poursuit, Mario quitte Selmer et, après avoir produit des anches traditionnelles à Paris durant quelques années, embarque pour New-York en 1939. Il y fonde sa nouvelle entreprise de production d’anches : la French American Reeds Co., toujours en activité de nos jours.


La Seconde Guerre Mondiale dope la production américaine, mais outre qu’elle aspire toutes les matières premières d’intérêt stratégique, elle coupe les canaux d’importation de matériaux plus exotiques. Cette pénurie est une bénédiction pour l’industrie chimique, qui y voit l’occasion inespérée de bombarder l’Amérique de plastique, matériau devenu concomitamment éligible à une production de grande échelle. De la vaisselle au parements de sol, toutes les cuisines américaines sont plastifiées : le plastoc coloré entrera dans la maison par le panier de la ménagère.

Mario Maccaferri, homme finaud et entreprenant, peut-être même visionnaire, saisit l’occasion qui se présente. Après quelques essais, il met au point une anche en plastique de grande qualité, approuvée par Benny Goodman. Mais surtout, il se rend compte des possibilités infinies du nouveau matériau, de sa facilité de transformation, et de l’horizon qui s’ouvre à lui.
Pinces à linge, parements de salle de bains, panneaux d’isolation phonique, Mario s’insinue avec succès dans toutes les niches qui s’offrent à lui.


En 1947, il rencontre Arthur Godfrey en Floride, le chanteur-ukuléliste et animateur de télé, qui lui affirme que si quelqu’un créait un ukulélé à moins de 10 dollars, il lui en ferait vendre un million ! À cette époque, Maccaferri n’a pas l’intention d’entrer dans la fabrication d’ukulélés. Mais l’année suivante, quand il voit Godfrey jouer de l’uke tous les jours devant 40 millions de téléspectateurs, il change d’avis et met au point un prototype de plastique, aux mensurations d’un Martin. Godfrey en tombe raide dingue et en commande 36 sur le champ !

Il s’agissait bien entendu du premier Islander. En collaboration avec Dow Plastics pour la mise au point d’une variante de polystyrène la mieux adaptée (le fameux Styron), Maccaferri conçut un ukulélé tout-plastique — hormis les mécaniques — construit d’un minimum de pièces en Styron injecté, muni d’une frette zéro et développant une qualité de résonance étonnante. Dès janvier 1947, Elliot Handler et sa nouvelle société Mattel avaient produit avec succès un petit uke en plastoc, l’Uke-a-Doodle. Mais il s’agissait là d’un jouet, sans destination réellement musicale. Avec l’Islander, on avait enfin un vrai instrument, agréable à jouer et à entendre, pour moins de 6 dollars.

L’Islander, présenté au début du printemps 1950 par Arthur Godfrey sur CBS, connaît un succès immédiat. « Islander is a doggone good uke » (« L’islander est un foutu bon uke! ») s’exclamera-t-il durant son show (à noter que Godfrey en fait la promotion gratuitement, et qu’il refusera quelques années plus tard un paquet de billets de 100 $ que Macca lui tendra en remerciement de son soutien commercial durant les jours plus maigres).
Maccaferri doit refuser de répondre au téléphone, submergé par les commandes qu’il ne peut pas encore honorer. En janvier 1950, Macca produit 29 Islanders. En février, 1188, en mars, 18 900. Jusqu’à un pic de production en mai, avec 51 512 exemplaires soit plus de 2500 par jour !
Mais la concurrence pointe son nez, notamment le géant Emenee avec son Flamingo, Carnival Toys co. avec ses modèles sérigraphiés, ainsi que les Californiens avec leurs Mauna Loa, Fin-der, etc. L’islander sera produit jusqu’en 1969.

Mario Maccaferri produira de nombreuses variantes de l’Islander : l’islander à « couleur spéciale » (mélanges psychédéliques et bariolés), l’Islander de luxe, le semi-luxe, le modèle baryton, l’Ukette … ainsi que des succédanés encore moins chers, le TV Pal et ses variantes, la famille des Play Tune, plus les déclinaisons « brandées » pour tel ou tel commanditaire : les ukulélés Beatles, le Davy Crockett, le Romper Room, etc. Entre 1950 et 1969, ce ne seront pas moins de 9 millions d’ukes en plastoc que Maccaferri aura injectés dans la société américaine.

Et puis le Chord Master ! Ce petit boîtier à former automatiquement les accords basiques sera à l’origine d’une réelle démocratisation de l’accès à l’ukulélé. Sans savoir jouer, on peut désormais charmer sa voisine avec quelques standards de feu de camp.

Parallèlement, et dès 1953, Maccaferri s’est lancé dans la production de guitares en Styron — certaines sont « archtop » — toujours très appréciées des amateurs. Et puis des banjolélés, des bongos, des castagnettes…

En 1969, las des critiques qui lui sont adressées et faisant face à une baisse des ventes, Maccaferri cesse la production d’instruments en plastique et revend droits et moules à Carnival qui n’en fera qu’un usage modéré (La compagnie continuera cependant la fabrication de TV Pal de moindre qualité).

Toutefois, Mario poursuivra le développement d’un violon en plastique, projet dans lequel il investira 350 000 dollars de ses fonds personnels. En 1990, l’instrument est dévoilé au public lors d’une première au Carnegie Hall et reçoit une review frileuse dans le New York Times, lui reprochant notamment son manque de projection : « Il pourrait être utile comme violon d’étude, et se montre idéal pour les joueurs voulant faire du crincrin sous la pluie ou sur la plage. Son intérêt comme violon de concert reste cependant limité ».


En 1993, Mario Maccaferri s’éteint à l’âge de 93 ans. Il est entré au Panthéon du Plastique (Plastics Hall of Fame) en 1996.

Antoine Carolus

Sur le site ChordMaster.org d’Antoine Carolus, on trouve une mine extraordinaire de documents et informations relatifs au Chord Master bien sûr, mais aussi à tous les modèles d’ukulélés en matière plastique produits depuis le début des années 1950 ainsi que leur actualité.

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