Autre célèbre ukuléliste à crinière feu né en fin d’été (avec Wendell Hall dont nous fêtions l’anniversaire il y a peu), Arthur Morton Godfrey vient au monde à New York par une matinée auburnale, le 31 août 1903, fils aîné d’une famille haute en couleurs, paternel spécialiste des chevaux alezans que l’avènement de l’automobile va bientôt ruiner, maman compositrice dont la gloire n’auréolera les talents que sur le tard, à la faveur d’une émission de Groucho Marx, elle a alors 78 ans.

Cavalier émérite, pilote aérien, opérateur radio sur les contre-torpilleurs de la Navy puis chez les gardes-côtes, Arthur Godfrey devient à la fin des années 1930 un présenteur radio populaire en adoptant une verve gouailleuse entrecoupée de chansons qu’il accompagne à l’ukulélé, là où régnait encore le ton compassé et emphatique des « announcers » en smoking de la vieille école, les Joseph Bell, ou Kelvin Keech qui depuis longtemps n’apportait plus son Banjulele au micro de la NBC. Godfrey impose le petit instrument au même temps qu’une sorte de tutoiement de l’auditeur. En avril 1945, son émotion sincère lors du compte-rendu des obsèques présidentielles (il était ami personnel de Roosevelt) lui vaut une soudaine célébrité à travers tous les États-Unis, et son  »Too Fat Polka » de 1947 est un hit.


En 1948 et 1949, ses émissions de variétés pour la radio CBS, Arthur Godfrey and His Friends et Arthur Godfrey Talent Scouts, deviennent également télévisées. Godfrey totalise déjà 8 heures 30 hebdomadaires d’antenne sur les deux médias lorsqu’il lance le 4 avril 1950 à la TV ses cours d’ukulélé de 15 mn diffusés les mardi et jeudi : Arthur Godfrey and His Ukulele. L’instrument connaît alors un regain d’intérêt à la faveur de la résurrection du dieu tiki accommodé Polynesian Pop que les soldats de la guerre du Pacifique ont rapporté dans leur paquetage ; on renoue une fois encore avec le vieux rêve de paradis sur terre dans les îles des mers du Sud. Début 1950, les magasins de musique ont vendu 100 000 ukulélés dans les six derniers mois, il auraient pu en écouler 50 000 de plus.
Godfrey, qui n’a cessé depuis les années 1930 de promouvoir l’instrument, les chansons à exotisme hawaiien, et Hawaii, est bien placé sur cette vague. Il s’entiche de l’Islander tout plastoc que Maccaferri vient de lancer à $ 5.95 (soit env. $ 54 actuels) et le présente à la TV. S’en suit le raz de marée que l’on sait, et pas seulement en faveur de l’Islander, puisque, contre toute attente, il passe contrat d’endorsement pour un boîtier muni de boutons d’accords adaptable sur des ukulélés plastoc que fabrique EMENEE, concurrent direct de Maccaferri. On estime qu’entre les divers modèles des différentes firmes, la production totale d’ukulélés plastoc atteindra au moins les 20 millions d’exemplaires pendant les deux décennies suivantes (voir sur ces fabuleux instruments l’indispensable chordmaster.org).


Godfrey milite aussi ardemment auprès des éditeurs pour l’accordage universel de l’ukulélé en Do. En vain. Peut-être par dépit, il passe rapidement au modèle baryton (Ré Sol Si Mi) que Vega vient de mettre au point, à son intention dit-on. Le Vega Arthur Godfrey Baritone restera son instrument de prédilection durant le reste de sa longue, riche et glorieuse carrière.

S’il ne fut pas le seul initiateur de la deuxième vague ukulélé aux États-Unis, Arthur Godfrey en fut la principale force.


Quant à l’ukulélé en matière plastique, il doit sa reconnaissance comme véritable instrument de musique, certes au talent de luthier de Mario Maccaferri, mais plus encore à la totale confiance que les télespectateurs accordaient à Arthur Godfrey, qui ne vendait que ce qu’il aimait vraiment, frigo, ukulélé, ou soupe instantanée, thé, thon en boîte, lotion capillaire, ou cigarettes – mais alors Chester de tabac roux, bien entendu.

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