Pendant toutes les années 1950, Alfred Apaka fut la voix d’Hawaii. Sa voix de velours.
La radio, le disque, la naissante télévision répandaient alors à travers le monde ses ballades sentimentales teintées d’exotisme et accompagnées d’ukulélé. Il devint ainsi légat officiel de ce paradis des mers du Sud idéalisé que les magnats du tourisme avaient imaginé de reconstituer en son décor rêvé – à la manière hollywoodienne – dans les resorts d’Honolulu. Mais son art touchait aussi le cœur des Hawaiiens, qui lui vouaient une véritable adoration.
Il faudra attendre Israel Kamakawiwo’ole pour retrouver un artiste hawaiien dont l’émotion vocale touchera ainsi le monde entier.

Hagiographie du Golden Tenor :

Né le 19 mars 1919 à Honolulu, Alfred Aiu Afat apprend l’ukulélé, la contrebasse et le chant, entre à la chorale de la Roosevelt High School et en 1933 devient ténor dans celle de l’Église de Jésus Christ des Saints des Derniers Jours. Devenu athlète d’un mètre quatre-vingt pour quatre-vingt-quinze kilos, il nage en champion, surfe, joue dans la ligne offensive de l’équipe de football des Roughriders. En 1938, Don McDiarmid, Sr., alors chef d’orchestre du Royal Hawaiian Hotel et du Waialae Golf Course and Country Club l’engage comme chanteur sur les conseils de l’ukuléliste Benny Kalama. Puis il se produit au Alexander Young Hotel avec Leolani Blaisdell. Deux ans plus tard, en mars 1940, Ray Kinney l’emmène à New York partager la scène de l’Hawaiian Room, installée dans l’Hôtel Lexington. Ce restaurant à décor polynésien, que Lani McIntire a inauguré le 23 juin 1937 est devenu le haut lieu de la musique hawaiienne aux États-Unis (photos, menus et documents sur ce pré-tiki bar mythique dans l’indispensable Tiki Central).
À l’occasion de ce contrat, Alfred Aiu Afat change son nom en Alfred Aholo Apaka (Aholo est le nom de famille de sa maman, Apaka la prononciation hawaiienne de Afat). Réformé pour raison de pieds plats, il reste aux States et tourne huit mois avec Hellzapoppin.

En 1943, Alfred Apaka retourne à Honolulu, rejoint Don McDiarmid, maintenant au Kewalo Inn, puis forme un orchestre de dix musiciens pour jouer à La Hula Rhumba, tourne sur la côte californienne entre 1946 et 1949, chante sur des disques Bell, Aku, Decca et forme un nouveau quartet avec lequel il revient animer les soirées du Moana Hotel à Waikiki jusqu’en 1951.
Déménagement l’année suivante chez Don The Beachcomber, où Bob Hope le « découvre » et l’invite au Bob Hope Show sur NBC TV et dans une émission radio avec Dorothy Lamour. Aussitôt, Bing Crosby le programme dans son propre radio show et rapidement, Alfred Apaka conquiert par les ondes un public plus large encore.

Suivent des tournées américaines, jusqu’en 1954, quand Henry J. Kaiser lui demande de revenir à Honolulu chanter la Symphony Polynesia à l’occasion de l’ouverture du monumental complexe touristique Hawaiian Village et d’animer à demeure le tiki bar « Tapa Room » avec un nouvel orchestre que dirige Benny Kalama – celui qui lui avait procuré son premier contrat chez McDiarmid en 1938.

Après une saison d’été entre Las Vegas et Lake Tahoe, Alfred Apaka devient à partir du 15 septembre 1955 résident permanent de la Tapa Room, son chanteur fétiche, une véritable idole au même titre que les deux tiki qui le flanquent sur scène.
Il personnifie Hawaii pour les touristes que les nouvelles lignes aériennes déversent maintenant par longues guirlandes dans les hôtels et night clubs d’Honolulu, mais aussi pour les Hawaiiens. Bien que surnommé « The Golden Tenor of Hawaii », sa tessiture très étendue lui permet d’enchaîner en souplesse les parties ténor et baryton des chansons du répertoire traditionnel dont les Hawaiiens raffolent (Lei Aloha Lei Makamae en est un exemple parmi bien d’autres), et lorsqu’il délivre ses versions empoignantes de Sweet Leilani, Beyond the Reef, My Isle Of Golden Dreams, Hawaiian Paradise et autres romances hapa haole en vogue accompagnées à l’ukulélé, l’auditoire local comme international, mais surtout féminin, au son de ce timbre à la fois mâle et melliflue tombe en pâmoison dans les larges fauteuils de rotin, laissant quelques gouttes de mai tai s’échapper du verre et venir tacher le sarong à grand motif floral acheté l’après-midi chez Shaheen.

Le charme opère dans le monde entier grâce aux retransmissions radio quotidiennes Hawaii Calls de Webley Edwards, grâce aussi aux galettes Decca, Capitol, ABC Records, Hawaiian Village Records et leurs pochettes, sur lesquelles Alfred Apaka pose en crooner exotique au sourire séducteur.

Maintenant directeur artistique du Hawaiian Village, ambassadeur de la musique hawaiienne, au faîte de sa carrière, il entretient son image et son physique d’athlète, s’entraînant chaque matin à la salle de gymnastique de la YMCA. C’est là, le 30 janvier 1960 à 11h 25, que la mort le fauche d’une crise cardiaque pendant une partie de jokari.
Il avait 40 ans et venait de signer pour le TV show de Dinah Shore.
Honolulu organise des funérailles grandioses et l’inhume dans un mausolée blanc érigé au pied de Diamond Head où il repose désormais, son micro à la main.
C L

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