On lui doit Mele Kalikimaka, Lovely Hula Hands, Malihini Mele, Haole Hula et de nombreux autres standards figurant toujours sur la liste des favoris chez les joueurs d’ukulélé.

Les Hawaiiens disent de R. Alex Anderson qu’il fut le plus hawaiien des compositeurs de chansons hapa haole. Un compliment savoureux quand on sait qu’il était totalement haole, de pure lignée écossaise, et ne se mettait à l’ukulélé ou au piano qu’en amateur, lorsque le monde des affaires, le sport, le pilotage des avions, les voyages et les soirées mondaines lui en laissaient le loisir.

Retour sur cette grande figure de la musique hawaiienne.

BIOGRAPHIE INÉDITE

Robert Alexander Anderson naît le 6 juin 1894 à Honolulu. Son père, new-yorkais d’origine écossaise, a ouvert le plus couru des cabinets dentaires d’Hawaii et épousé Susan, une des filles d’Alexander Young, lui aussi originaire d’Écosse, magnat de la fonte et du sucre, propriétaire des grands hôtels, ministre de l’intérieur du gouvernement Dole à la chute de la monarchie ; un de ceux qui tiennent les rênes économiques et politiques de l’archipel hawaiien.

Andy, comme l’appellent ses proches et ainsi que nous nous permettrons désormais de le nommer, Andy donc, entre, comme sa condition sociale l’exige, à la Punahou School où il excellera en toutes matières, musique et sport compris. Suivent en 1912 des études d’ingénieur à la Cornwell University de New York. L’université possède une chorale qu’Andy rejoint immédiatement, et un de ces grands orchestres de mandolines si populaires à l’époque. Il apprend l’instrument et se joint à la formation, mais sort aussi de sa valise un ukulélé et une guitare hawaiienne et monte avec des camarades d’Honolulu un ensemble qui joue On The Beach At Waikiki aux mêmes spectacles que le Mandolin Club universitaire. De cette époque datent ses premières compositions hapa haole, notamment Alohaland.

Ses diplômes en poche, Westinghouse lui propose un stage. Nous sommes en 1917, les USA entrent en guerre. Andy s’engage, suit quelques cours de pilotage aérien et se retrouve sous uniforme anglais dans la 40e escadrille des Royal Flying Corps basée à Dunkerque.

Le 27 août 1918, un Fokker prend en chasse son SE 5. Deux balles de mitrailleuse traversent la carlingue, viennent se ficher dans son genou et l’obligent à atterrir côté belge, dans les lignes ennemies. Capturé, brinqueballé d’une prison l’autre entre France et Belgique, Andy attend que l’état de sa jambe s’améliore, puis tente une évasion avec quatre aviateurs américains eux aussi faits prisonniers. Deux sont aussitôt repris. Lui et les deux autres échappent. Commence une longue cavale à travers la Belgique. Planqué dans les fossés la journée, traversant forêts et campagnes à la nuit tombée, le trio atteint enfin l’ambassade américaine de Rotterdam, en pays neutre, au terme d’une marche exténuante de vingt-deux jours.

Le 1er février 1919, Honolulu accueille en héros le premier lieutenant Anderson.

Lors d’une party où l’on fête son glorieux retour, Andy retrouve Margaret Leith Center, dite Peggy, une camarade de sa sœur Ruth à Punahou. Elle donne des récitals de chant classique après trois ans passés au conservatoire de Melbourne sous l’aile protectrice de Dame Nellie Melba qui avait découvert ses talents à la boutique Bergstrom d’Honolulu (Melba, comme la pêche, la sauce, la garniture, les toasts qu’Escoffier nomma ainsi en l’honneur de cette cantatrice, alors la plus célèbre au monde). La musique les rapproche, les deux jeunes gens s’éprennent.

Fin 1919, Andy accepte un contrat d’ingénieur chez ISKO à Chicago. Peggy renonce à sa carrière et le rejoint. Ils se marient, s’installent dans un appartement de Windy City. Un premier fils naît. Mais ISKO bat de l’aile et en 1923, les Anderson retournent à Honolulu. Andy a signé un contrat de distribution avec Frigidaire, une firme dont le nouveau système de réfrigération lui semble promis à un bel avenir. Son grand-père Alexander Young et l’oncle Von Hamm se laissent convaincre de placer quelques capitaux sur ce projet et fondent la Von Hamm-Young Co., future Hawaii Corp. dont l’activité va s’étendre à l’automobile et bien d’autres branches. Andy entre dans la société en qualité de simple ingénieur, puis d’associé. Il y fera toute sa carrière, gravissant les échelons jusqu’à la présidence.

R. Alex Anderson devient ainsi un homme d’affaires respecté, haute figure de la vie politique, mondaine, musicale et sportive d’Honolulu. Installé avec femme et enfants – bientôt trois fils, une fille – à Kailua, puis dans une vaste demeure de famille à Waikiki, entre Kalakaua Avenue et la plage, Andy trouve en dehors des heures de bureau le temps de pratiquer la natation, le surf, le golf, le baseball avant les réceptions du soir, à la maison ou en ville, que fréquentent les vedettes de passage. Shirley Temple et Mary Pickford deviennent des amis. La musique tient encore une grande place dans la vie des Anderson. Peggy a certes abandonné les galas, mais elle continue de chanter en public lors des soirées où, après les mélodies du répertoire classique, Andy prend son ukulélé et la rejoint en duo sur quelque nouvel air de sa composition. Car il ne cesse de composer.

Alohaland, écrite entre 1912 et 1916 à l’université de Cornell, paraît en 1925 et inaugure la liste. Le premier vrai succès survient deux ans plus tard lorsque Andy et le poète-dessinateur Don Blanding collaborent à Tropic Topics, une comédie musicale présentée au Princess Theatre d’Honolulu. Le spectacle inclut notamment Haole Hula, qu’Andy signe seul :

Oh when I hear the strains of that sweet Alekoki

And stealing from afar of guitar Penei Nō

When Lili`u ē makes you sway in the moonlight

I know the reason why fair Hawaii haunts you so


La musique et le texte montrent déjà l’originalité du style R. Alex Anderson. Soit, les éléments du hapa haole tels que les ont déjà mis en place Sunny Cunha ou Johnny Noble – mélodie évidente, rythme entraînant, évocation nostalgique des paysages hawaiiens en langue anglaise saupoudrée de vocabulaire local et sous-entendus grivois – qu’Anderson enveloppe d’une élégance et d’un humour que l’on pourrait qualifier de britanniques.

Humour dans le jeu des mots, I Had to Lova and Leava on the Lava, proche du limerick, ou atteignant parfois le nonsense, comme dans Malihini Mele où les termes indigènes employés l’un pour l’autre mènent à l’absurde du ukulélé liquide et de la robe en bois de koa :

As I strolled along the shore

In a muumuu made of koa

While I played a tune

On my sweet okolehao


And I sang a pretty song

As she danced her sweet kapu

With a wikwiki smile

And nui nui holoku


Quoique doté d’une jolie voix, Andy n’enregistre pas ses chansons. Il laisse ce soin aux nombreux interprètes qui s’empressent de les inclure à leur tour de chant et les rendent célèbres à travers la scène, la radio, le disque. Hilo Hattie devient inséparable du Cockeyed Mayor of Kaunakakai (et de sa fille, The Cockeyed Daughter of The Cockeyed Mayor).

Fats Waller grave On a Coconut Island, Harry Owens, Ray Kinney et bien sûr Bing Crosby placent en haut des charts Lovely Hula Hands dont le refrain en hawaiien, « kou lima nani e », symbolise désormais la danse hula, elle-même métonyme de la culture hawaiienne offerte en spectacle aux touristes.


Un fabriquant imprime la partition de Lovely Hula Hands sur une chemise aloha qu’Andy arbore aux grandes occasions. À la fin de la décennie1930, R. Alex Anderson a déjà composé une vingtaine de standards qui resteront au répertoire.

Après l’attaque de Pearl Harbour, Andy n’abandonne pas son bureau, où il compose le quelque peu larmoyant No Tears, ainsi qu’un chant patriotico-rigolo They Couldn’t Take Niihau Nohow, mais Peggy et les enfants partent se mettre à l’abri en Californie. À leur retour fin 1945, la famille emménage dans une nouvelle somptueuse villa de style néo-méditerranéen nichée dans un parc sis au pied de Diamond Head. Les fêtes vont bientôt de nouveau s’y succéder et accueillir les plus grandes personnalités : Bob Hope, Jack Benny, Cole Porter, Arthur Godfrey, Irving Berlin, Dick Powell, Martin Denny, l’amiral Nimitz … et bien sûr Bing Crosby qui inclut Mele Kalikima à son album de chants de noël White Christmas. C’est la gloire.


L’inspiration ne retombe pas : Hula Rock, Just an Orchid from Hawaii, There are Two Eyes in Hawaii, Narcissus Queen, Hawaii Smiles, Muumuu Mama … un song-book paru en 1971 aligne 84 titres mais le total des compositions par R. Alex Anderson atteint près de deux cents chansons. Pendant les années 1950, Alfred Apaka, devient leur interprète privilégié.

Cette effervescence musicale n’empêche nullement Andy de s’activer à la Von Hamm-Young Co. et au sein de nombreuses amicales, confréries, shrines, loges, clubs de toutes sortes : il ne ratera aucune des réunions annuelles du Bohemian Club au camp de Monte Rio. Il préside la chambre de commerce d’Honolulu, le Rotary, le Visitor’s Bureau, la Honolulu Symphony Society et maintes associations sportives.

À l’heure de la retraite, les époux Anderson continuent de voyager à travers le monde et Andy a plusieurs fois l’occasion de retourner en Belgique sur les lieux de ses exploits pendant la première guerre mondiale. Ils se produisent aussi ensemble sur scène à chaque occasion – et elles sont légion entre les galas de charité, les inaugurations, remises de médailles et autres cérémonies officielles. Andy composera jusqu’en 1985.

Le 11 septembre 1990, Peggy s’éteint, elle a 95 ans. Robert Alexander Anderson tient encore fermement l’ukulélé jusqu’à son centième anniversaire. Il s’éteint à son tour le 30 mai 1995, une semaine avant de souffler ses 101 bougies.

Après le service funèbre à la cathédrale saint Andrew, une fois les honneurs militaires et maçonniques rendus, un authentique SE 5 de la Grande guerre survole le cimetière d’Honolulu, mêlant le vrombissement de son moteur aux bourdons de la cornemuse des Highlands qui ouvre le convoi.

CL

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