Il est sorti, il est disponible, et il est beau. Jake Shimabukuro a fait réaliser son dernier opus « Grand Ukulele » par pas moins que monsieur Alan « j’ai produit Abbey Road et Dark Side of the Moon » Parsons. Le résultat est riens d’autre que bluffant, pour l’interprétation et l’écriture de Jake, et pour la production qui n’a sans doute pas eu d’équivalent pour des enregistrements de ukulélé.

L’album est disponible dans son intégralité en streaming sur youtube.

Il aurait été dommage de rater l’occasion de chroniquer un tel disque, exercice périlleux où l’on range son humilité pour chercher la petite bête dans une œuvre solide tout en tâchant de taire ses préférences personnelles.

Si il fallait le résumer en une seule ligne : une vraie écriture, moins lassant, moins démonstratif et surtout moins musique d’ascenseur qu’à l’accoutumée. Mais détaillons plutôt ensemble les morceaux.

Ouverture sur Ukulele Five-O : d’emblée on écoute plus la musique que l’ukulélé, c’est donc du meilleur augure pour la suite ! Une basse impeccable et sobre qui glisse derrière un ukulélé rapide mais pas bourrin – et là Jake fait chanter son instrument comme il sait le faire mieux que jamais : avec précision, netteté et élégance.

Rolling in the deep : du ukulélé solo pour cette reprise de la jeune et plantureuse artiste britannique Adele. Ce titre de variété est ici interprété dans une complète sobriété, qui rend justice à la mélodie mais en fait sortir d’inattendus accents primitifs, alternant avec d’immanquables élans de pop music. Joyau exemplaire de l’art de la reprise tous instruments confondus.

Gentlemandolin : si, passée l’intro, l’ambiance est plus évocatrice d’Abba (avec de malheureux penchants – excusés – pour le Love Boat) que de la mandoline ou de l’italianité, la grosse orchestration laisse tout à fait imaginer un rôle de ukuléliste soliste devant un orchestre symphonique complet pour Jake – quelque chose qu’on verrait et écouterait avec un grand plaisir !

More ukulele : un blues-rock en ukulélé solo tout à fait équilibré, qui rappelle certains anciens morceaux de jake à la différence qu’il s’échappe ici avec brio de ses lignes harmoniques habituelles et de ses manières attendues, pour les retrouver rapidement mais seulement après nous avoir laissé respirer par ici dans un moment plus calme, par là à travers un accord de passage inattendu ou un picking surprise, qui ont l’intérêt outre leur élégance de fixer durablement l’attention de l’auditeur.

Missing Three : il aura fallu attendre le cinquième morceau pour trouver quelque chose de vraiment trop cheesy et ce disque aurait vraiment pu s’en passer – une orchestration sirupeuse qui déborde de cordes et un thème rengaine qu’on a compris en 20 secondes, c’est beaucoup trop pour un morceau de plus de trois minutes aussi bien entouré. L’ambiance du morceau laisse indubitablement penser qu’il ne s’agit pas d’une référence à Sir Arthur Conan Doyle.

Music Box : on a sûrement là un futur classique de Jake qui sera pris, repris et retourné dans tous les sens tant il sent l’exercice – toutefois avec ses très belles harmoniques, ses effets sobres, cette démonstration de ukulélé tourne aussi à la démonstration de musicalité sur un exercice bien appliqué qui fait plaisir à entendre.

1 4 3 : pour se faire pardonner du Missing Three un peu plus tôt, Jake offre deux solos de ukulélé enchainés, ici la signature de Jake est particulièrement reconnaissable, avec roulement et coups secs marqués, alternances fortissimo/pianissimo. Le morceau met un peu plus de temps à s’allumer et finit sans doute par être un peu long mais il mérite d’être écouté intégralement.

Over the rainbow : Un arrangement tout à fait hollywoodien pour une musique de film aussi connue, était-ce bien nécessaire ? Certe ce n’est pas de l’orchestration de FM hawaiien dont de grands artistes ont souffert, mais là « rétro c’est trop ». En gros une version orchestrale pas pire qu’une autre (pour être honnête plutôt meilleure qu’une autre) avec un ukulélé : on s’interroge. Où est passée la légende d’IZ reprenant ce morceau avec un feeling unique, une identité, une histoire sur l’histoire ? Ce morceau boucle tristement la boucle, et on a l’impression d’avoir perdu la magie spécifique qui liait ce morceau à l’ukulélé, l’exécution est parfaite et sans bavure, mais on a surtout envie de ré-écouter Israel Kamakawiwo’ole.

Island Fever Blues : du très joli travail de ukulélé solo, contrasté, plein de traits sympathiques, de réponses, prenant et complet, hispagnolisant, qui se tasse un peu dans un ou deux court passages de strums plus attendus tant rythmiquement qu’harmoniquement pour repartir de plus belle. Pourquoi « blues » ?

Fields of Gold : cette batterie et cet arrangement ne sont-ils pas trop eighties ? n’est-on pas trop près de la limite du larmoyant putassier ? Mais bien sûr c’est une reprise de Sting ! Une très bonne reprise si tant est qu’on apprécie l’original, une excellente reprise si on est allergique à la voix éraillée du chanteur de la maréchaussée.

Gone Fishing : Ici du jazz bien comme il faut – on ne reconnaît pas Crosby et Armstrong ou Chris Rea – mais quelle épatante maitrise tout seul au ukulélé, un coup de mélodie bien séparée, puis un coup d’accompagnement, et on mixe le tout. Chapeau.

Akaka Falls : standard du répertoire hawaiien morderne, un morceau où la technique ne peut briller que par sa modération et sa modestie, laissant la place à une expression ici soutenue – ou plutôt : servie – par un arrangement de cordes pas foireux du tout, tout au contraire. Les cordes arrivent avant une variation sur le thème qui ne trahit en rien l’esprit de cette pièce, dont différentes interprétations – particulièrement les vocales – tombent souvent dans le kitsch extrême.

Un « Grand Ukulele » très très bien nommé.

Une pensée sur “Grand Ukulele : Grand Jake”

  1. Merci pour ces infos,

    par contre le lien vers youtube ne semble pas fonctionner. Par contre j’ai écouté et je trouve les arrangements assez kitsch et convenu, surtout les arrangements à cordes… Bref on aurait pu attendre mieux du célèbre Alan Parsons je trouve.
    enfin cela n’enlève rien au talent de Jake Shimabukuro.

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